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Article : Le dispositif de reconnaissance faciale implanté dans deux lycées annulé par la juridiction administrative.

Le dispositif de reconnaissance faciale implanté dans deux lycées annulé par la juridiction administrative.
Par Pablo Nicoli, Avocat au Barreau de Paris.


Le dispositif de reconnaissance faciale implanté dans deux lycées annulé par la juridiction administrative.
Le 27 février 2020, le Tribunal administratif de Marseille annulait la délibération du Conseil Régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur qui avait lancé à titre expérimental un dispositif de reconnaissance faciale dans deux établissements scolaires ; et ce, afin de fluidifier leur accès et de renforcer leur sécurité.

Parmi les nouvelles technologies amenées à révolutionner notre quotidien à court terme, rares sont celles qui font autant fantasmer que la reconnaissance faciale, technique de biométrie qui fascine autant qu’elle interroge.

En préambule, il convient de rappeler que la biométrie a été définie comme étant la science étudiant “à l’aide des mathématiques, les variations biologiques à l’intérieur d’un groupe déterminé".

De nos jours, la biométrie est davantage perçue comme une technique d’identification de la personne à partir de ses caractères physiologiques reconnaissables et vérifiables ; et ce, qu’il s’agisse de la forme du visage, de la paume de la main, de l’ADN, de l’identification par l’iris de l’oeil ou encore par la voix.

Les diverses utilisations de la biométrie peuvent être très variées, allant de l’authentification des paiements au démarrage d’une voiture, en passant par l’accès des élèves à un lycée.

Dès lors, ce glissement de la science à la technique a été perçu comme vertueux puisque la biométrie était d’abord pensée comme un instrument d’accroissement de la sécurité et de la fiabilité de certains échanges.

Toutefois, ces données biométriques sont des données personnelles et leur collecte, tout comme leur conservation, sont soumises à certaines conditions qui se doivent d’être scrupuleusement respectées, comme l’a rappelé le Tribunal administratif de Marseille le 27 février dernier.

Revenons donc rapidement sur les faits d’espèce de la présente décision.

1. Les faits : l’installation d’un dispositif de reconnaissance faciale dans deux lycées français.

Par délibération n° 13-893 du 14 décembre 2018, le Conseil régional de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur avait lancé deux « dispositifs de contrôle d’accès virtuel » en la forme de caméras supposées reconnaître les lycéens pour leur autoriser l’accès, et pouvoir suivre la trajectoire des personnes au sein de deux lycées de la région.

Ladite délibération avait alors, premièrement, approuvé les termes de la convention tripartite entre la région, les lycées ainsi que la société implantant le dispositif, et, dans un second temps, lancé l’expérimentation au sein des deux établissements puis, dans un dernier temps, autorisé le président de la région à signer la convention tripartite.

Suite à sa saisine par la région P.A.C.A, la C.N.I.L s’est montrée défavorable au recours à une telle expérimentation, jugeant que cette dernière n’apparaissait « ni nécessaire ni proportionnée pour atteindre [les finalités recherchées » [1].

Dans ce même trait de temps, un certain nombre d’organisations dont la Quadrature du Net, la Ligue des droits de l’homme (L.D.H.) ou la Fédération des conseils des parents d’élèves (F.C.P.E.), ont saisi le Tribunal administratif d’un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de la délibération.

2. Une délibération entachée d’incompétence et d’illégalité.

Au terme de nombreux débats que nous détaillerons ci-dessous, le 27 février 2020, le Tribunal administratif de Marseille a annulé la délibération de la région P.A.C.A. au motif qu’elle est entachée d’incompétence et d’illégalité en ce qu’elle ne respecte pas les principes régissant le recueil du consentement et de nécessité et proportionnalité au regard des finalités recherchées.

En effet, l’article L214-6 du Code de l’éducation dispose que « la région assure l’accueil, la restauration, l’hébergement ainsi que l’entretien général et technique, à l’exception des missions d’encadrement et de surveillance des élèves, dans les établissements dont elle a la charge. »

Selon le Tribunal administratif, « la région PACA ne s’est pas bornée à munir les lycées en cause des équipements de reconnaissance faciale (…) [elle] a elle-même pris la décision d’initier cette expérimentation ».

Cependant, au regard cette fois de l’article R421-10 du même Code, cette mission incombe au seul chef d’établissement, à savoir celle de prendre « toutes dispositions, en liaison avec les autorités administratives compétentes, pour assurer la sécurité des personnes et des biens, l’hygiène et la salubrité de l’établissement. »

En conséquence, la région PACA a excédé ses prérogatives en ce que l’instauration du système de reconnaissance faciale a notamment pour objet « le renforcement de la sécurité dans les établissements scolaires ».

Toutefois, cette initiative de la région P.A.C.A ne s’est pas contentée de malmener le Code de l’éducation. Elle a également fait montre d’une indélicatesse patente envers le Règlement Général sur la Protection des Données personnelles (ci-après “R.G.P.D.”).

3. L’incompatibilité avec le R.G.P.D.

Le Tribunal administratif – s’appuyant sur la base légale du consentement - rappelle que les données personnelles traitées dans le cadre d’un système de reconnaissance faciale sont des données biométriques, sensibles par nature et, de fait, soumises aux articles 6 de la loi n° 78-17 « Informatique et Libertés » et 9 du Règlement général sur la protection des données (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 (RGPD), articles interdisant par principe leur traitement, sauf notamment si la personne concernée a donné son consentement explicite.

Cependant, lors de ce débat contradictoire, la région P.A.C.A s’est prévalue de cette exception, soutenant que le traitement des données avait pour base légale le consentement des lycéens ou, le cas échéant, de leurs représentants légaux, manifesté par la signature d’un formulaire.

Toutefois, selon le Tribunal administratif, cette seule signature ne constitue pas une garantie suffisante à l’obtention d’un consentement libre et éclairé ; et ce, dans la mesure où « le public visé se trouve dans une relation d’autorité à l’égard des responsables des établissements publics d’enseignement concernés ».

S’agissant de la problématique des finalités du traitement, le Tribunal administratif a également jugé insuffisants les objectifs de fluidification et de sécurisation des contrôles à l’entrée des lycées avancés par la région P.A.C.A.

En effet, le Tribunal administratif a précisé sur ce point qu’il n’avait pas été démontré que ces derniers « constituaient un motif d’intérêt public ni même que ces finalités ne pourraient être atteintes de manière suffisamment efficace par des contrôles par badge, assortis, le cas échéant, de l’usage de la vidéosurveillance ».

Précisons tout de même que le Tribunal administratif a considéré comme irrecevable le recours en excès de pouvoir formé à l’encontre de la partie de la délibération approuvant la convention tripartite d’expérimentation conclue entre la région P.A.C.A, la société partenaire et les deux lycées, et autorisant le président de la région à y apposer son seing.

Cette fraction de l’acte devant en effet être attaquée sous la forme d’un « recours de pleine juridiction en contestation de la validité de ces conventions devant le juge du contrat ». La délibération présente en effet « le caractère d’un acte détachable aux conventions tripartites d’expérimentation […] en ce qu’elle approuve leur contenu et autorise son président à les signer ».

En conséquence, il appert que « La légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer » ne saurait être contestée devant le juge de l’excès de pouvoir, qui n’est pas compétent.

En tout état de cause, cette irrecevabilité soulève des interrogations sur l’avenir du dispositif expérimental de reconnaissance faciale, la convention tripartite d’expérimentation restant pour l’heure approuvée par la Région et signée par le Président du Conseil Régional.

La présente décision du 27 février 2020 rendue par le Tribunal administratif de Marseille s’avère donc être un symbole judiciaire et politique fort, faisant ainsi primer les principes protecteurs posés par le droit européen sur des pulsions sécuritaires trop souvent instrumentalisées.

À cet égard, le 15 novembre 2019, la C.N.I.L réclamait justement la tenue d’« un débat à la hauteur des enjeux », c’est-à-dire un débat politique.

En effet, l’utilisation de la biométrie ne saurait être constamment rejetée sans mesure et un réel débat public et politique s’impose au risque de voir ce pan entier de la vie de demain ne se construire que par des décisions de justice éparses et ponctuelles.

Notes :

[1] https://www.cnil.fr/fr/experimentation-de-la-reconnaissance-faciale-dans-deux-lycees-la-cnil-precise-sa-position


Le présent article a également été publié sur le site https://www.village-justice.com/ :
https://village-justice.com/articles/dispositif-reconnaissance-faciale-implante-dans-deux-lycees-annule-par,35691.html
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